Mon choix de suivre un parcours académique en sciences humaines se concrétise comme la résolution partielle d’une tension récurrente qui oscille entre le désir – purement égoïste et intellectuel – de comprendre le monde, et le rêve –plutôt utopique – de le transformer. L’inquiétude partisane de penser le monde depuis un espace critique et relationnel, capable de contribuer à l’actualisation sémiotique des communautés, m’a amenée vers le concept polysémique de la frontière, comme le comprend le sémiologue Iuri Lotman : un espace dynamique dans lequel des nouveaux symboles culturels se génèrent; ou comme le théorise Michel Foucault : une position d’où penser un système, affranchie de l’aveuglement provoqué par le centre.
Suivant cette réflexion, j’ai choisi d’étudier la représentation et la mise en texte des frontières — culturelles, cognitives, géographiques — dans un corpus d’auteurs et autrices d’expression française, venant des polysystèmes littéraires différentes. Cette démarche s’insère dans les débats sur la mondialisation et l’émergence d’une épistémologie du planétaire qui demande la redéfinition des frontières locales et globales. Je tiens à souligner que l’écriture en langue française offre à mon projet l’encadrement méthodologique pour traiter d’une question universelle. L’espace transfrontalier de la francophonie, mise en question depuis les particularités de l’espace linguistique et culturel du Québec, est à mes yeux un universel générique qui me permet de saisir les processus de métissage et de changement d’un monde de plus en plus caractérisé par l’émergence des murs de séparation.
Mon projet de doctorat propose donc une systématisation des pratiques d’écriture de frontières dans l’œuvre de Patrick Chamoiseau, Michel Houellebecq et Naomi Fontaine, des auteurs et autrices qui s’occupent de thématiques telles que la migration, la mondialisation ou les enjeux de la mise en contact des paradigmes culturels opposés. Ces personnes écrivaines parlent depuis un point-frontière spécifique qui met l’accent sur des processus particuliers de réconciliation dans une épistémologie relationnelle.
Dans un premier temps, je me propose de caractériser les enjeux territoriaux de chaque polysystème littéraire, pour après explorer les façons dont l’utilisation de la forme frontière permet aux auteurs et autrices du corpus d’intervenir dans les problématiques sociales et politiques de leur réalité, en analysant le pouvoir transformateur des formes esthétiques et la dimension constructiviste de la littérature. Cette analyse me portera à tracer une cartographie des zones périphériques et ses interactions dans le système-monde contemporain, en syntonie avec l’aspiration transmoderne – en empruntant la terminologie à Enrique Dussel – de mettre en communication des acteurs invisibilisés par le processus de mondialisation économique et culturel.
Avec l’étude de l’espace interstitiel de la frontière, je tresse aussi une réflexion sur ma propre position intellectuelle. La compréhension de l’impact des formes esthétiques dans les configurations cognitives de toute société me permet d’envisager une alliance entre l’activisme politique et la théorisation académique, comme le propose Spivak; un activisme culturel qui, selon moi doit travailler dans la frontière de nos perceptions, empathie et convictions, de sorte que la volonté pacifiste ne devienne une façon de mettre un voile sur les injustices actuelles.
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Une réponse
Un article très éclairant sur les enjeux socioculturels, linguistiques et politiques du monde contemporain.
J’avoue que votre thématique est assez originale et très riche en terme de recherches dans le domaine de la littérature.
J’aurai aimé discuter avec vous dans les jours à venir autour de la question liée à la mondialisation, aux enjeux identitaires etc.